Arts Plastiques
Au temps des fêtes, Pascal SMARTH aux Ateliers Jérôme
Vernissage : Jeudi 18 décembre 2014
4h00 pm – 7h00 pm
Les Ateliers Jérôme, #46 rue Rebecca, Pétion-ville, Haïti
Notes biographiques
Né à Cavaillon en 1966, Pascal Smarth est initié très tôt au dessin et à la peinture par son père, peintre amateur. En 1986, il s’inscrit à l’Ecole Nationale des Arts (ENARTS), et devient un artiste accompli dès 1991. Un stage en gravure à l’Ecole des Arts plastiques de la Martinique renforce ses acquis techniques.
Bien que Pascal Smarth ait débuté par le figuratif et qu’il y revienne quelquefois, il se révèle un peintre de l’abstrait informel, style qu’il adopte en 1994, attiré, dit-il, par « la puissance de la couleur et le dynamisme des formes dans l’œuvre de Kandinsky».
Le critique et poète Gary Augustin (1958-2014) a salué en 2006 les œuvres de Pascal Smarth, présentées aux Ateliers Jérôme, comme les plus abouties de sa carrière. « La ligne est sommaire chez Smarth, la couleur a la primauté. Jamais cet artiste n’a été aussi loin dans le refus de représenter. Libres, autonomes, les couleurs à elles seules contribuent à la réussite plastique. Nous sommes en présence de la période la plus aboutie dans la jeune carrière de cet artiste. » (Le Matin, déc. 2006).
Exposition EMPREINTES : La démarche artistique
« L ‘eau coule encore et je ne veux pas quitter le lit. »
Engagé dans un processus de contemplation, je me suis lancé le défi de construire un pont pour unifier le monde. Arrêté en chemin pour observer l’eau qui coule, j’ai décidé de plonger en toute conscience dans le bain amniotique de la terre!…
… J’ai toujours fait choix de l’acrylique comme médium pour rendre l’intensité de mes émotions, car l’émotion pure peut se transmettre simplement, sans artifice. La sincérité du geste parlera d’elle-même. J’ai joué avec les couleurs et la perspective. J’ai davantage traité les textures pour intensifier les vibrations et marquer l’empreinte de l’eau.
Pascal Smarth
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Projet : Exposition de KILLY aux Ateliers Jérôme
Titre : Croix-des-Bossales, installation
Commissariat : Mireille Pérodin Jérôme et Killy
Lieu : Les Ateliers Jérôme, Pétion Ville, Haïti
Date : 20 novembre – 1er décembre 2012
La démarche artistique
Si pour l’Histoire, Croix-des-Bossales représente le principal lieu où accostaient, à Port-au- Prince, les bateaux négriers pour déverser leurs lots de captifs destinés à l’esclavage, pour l’opinion commune, Croix-des-Bossales est ce lieu immonde dont plusieurs dirigeants, ont tenté de débarrasser la capitale tout au long du XXe siècle.
Paradoxalement, le résultat a été l’extension du caractère Croix-des-Bossales à tout le bas de la ville. C’est à cette zone-plaie de la capitale qui porte tous les qualificatifs dévalorisants, que Killy accorde son attention. « Chak fwa mwen desann nan zonn sa a, mwen santi mwen posede pa yon maji. Le map gade toutt moun sa yo kap danse, kriye, lan mitan etalaj, kote yo devlope tout imajinasyon yo pou kapte atansyon kliyan ki li menm pa janm sispan machande* » C’est dans cet espace que Killy a découvert la force du sculpteur bois et métal recyclé, Nasson, celle du sculpteur textiles et objets d’inspiration vodou, Pierre Barra. C’est pour cette raison que Killy identifie étrangement l’espace Croix-des-Bossales à un grand Musée, le musée de l’imaginaire collectif. Cette étude fait suite à l’ensemble Grandir et mourir, du même artiste présenté au MAI (Montréal Arts Interculturels) en 2008 et à l’installation présentée à la 54e Biennale de Venise au Pavillon national haïtien en juin 2011.
Le concept
A partir de matériaux recyclés, de mousse synthétique, pétales de fleurs plastiques, monotypes sur papier, paillettes sur papier, portes usagées…l’artiste tente de restituer l’environnement Croix-des-Bossales avec son foisonnement de population affairée, d’étalages rutilants, tout un univers fortement théâtralisé. Sur les murs, un clin d’œil sur la condition d’esclave.
* A chaque fois que je me retrouve à Croix-des-Bossales, je suis possédé par la magie des lieux. Au spectacle de tous ces gens qui crient, s’agitent, dansent, au milieu d’étalages multicolores agencés avec un art et une imagination propres à capter l’attention de clients qui, eux, n’arrêtent pas de marchander.
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Les Œuvres Secrètes, Rétrospective de l’OEuvre Secrète de Jean-René Jérôme
« Pour la première fois de ma vie, je vais produire ce que je veux. Que je vende ou non, cela m’est égal, je veux vivre et rendre ce que je sens. Je n’abandonnerai pas mes problèmes aux solutions toutes faites que l’on arrive à placer facilement dans les galeries ». J-R J. (cahier de notes, 1971)
Dans le cadre du 25ème anniversaire des Ateliers Jean-René Jérôme, du samedi 31 juillet au samedi 7 août 2010, s’est tenue l’exposition Œuvres Secrètes réalisées par Jean-René Jérôme (Lien à sa page) entre 1980 et 1986, période sombre qui a vu croître la répression en Haïti et l’exode vers l’étranger. Ce chapitre de l’œuvre du peintre, céramiste et sculpteur haïtien Jean-René Jérôme (1942-1991) en témoigne avec une rare puissance évocatrice.
Les Œuvres secrètes de Jean-René Jérôme sont une Nouvelle composante du parcours de cet artiste. Elles traduisent ses émotions face au chaos ambiant ainsi que les conséquences de la répression sur la société haïtienne. L’artiste nous replonge dans l’horreur et la souffrance. L’angoisse et le déchirement sont évoqués par l’état de un tableau du délabrement mortifère. On est frappé par les corps en lambeaux, déchiquetés et mutilés, par ces êtres désincarnés, dématérialisés, qui tentent de se redresser, la bouche ouverte, ces silhouettes aux gestes lents. Cette esthétique propose une approche du beau, où la violence répressive est dénoncée avec un accent propre au chant poétique. On retrouve dans Œuvres secrètes, une boucle sémiotique, qui met en œuvre un système de signes universels pour traduire l’état résultant des conditions objectives d’une société sous la tyrannie.
L’artiste, communément classé parmi les peintres de cette tendance baptisée Ecole de la Beauté, témoigne ici de son engagement et surtout de sa sensibilité au tragique du monde dans lequel il vit.
Cet ensemble remarquable et singulier a fait l’objet de plusieurs expositions. Montrées pour la première fois aux Ateliers Jérôme en 1986 pour saluer le retour de Cuba de la célèbre chanteuse Martha Jean Claude après quarante ans d’exil, elles ont été exposées en 1988 au Complexe sportif de Carrefour sur la demande de la Mairie de l’époque et, en 1992 au Musée du Panthéon National (MUPANAH) pour la grande rétrospective de l’œuvre intégrale de Jean-René Jérôme marquant le 1er anniversaire du décès de l’artiste.
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Impermanence, Exposition de KILLY aux Ateliers Jérôme
« Il m’a fallu un point de départ, ne serait-ce qu’un brin d’histoire de mes racines, dans le refoulement de la violence aveugle qui régnait sous le régime du président déchu Jean Bertrand Aristide ». Citation: Killy, (conversation aux Ateliers Jérôme, août 2010)
Impermanence est un concept bouddhiste qui définit une philosophie de la vie fondée sur le principe du Tout change, rien n’est immuable. Se rapprochant des valeurs de cette philosophie, Patrick Ganthier de son nom d’artiste Killy (lien à sa page), établit avec une rare puissance expressive une mise en correspondance des temps durs de l’histoire de son pays et de son histoire personnelle. Les œuvres présentes dans Impermanence ont été réalisées en 2005 et 2006 après le départ de l’artiste pour le Canada. Marqué par le déferlement de la violence, Killy a été contraint de quitter son pays, ses œuvres font écho du déchirement et du désarroi que lui a valu cette décision. En même temps que son potentiel créatif se décuple et lui tient lieu de catharsis.
A Montréal, Killy travaille pour la première fois avec de nouveaux médiums, eaux fortes, estampe, carborundum et collographie pour traiter des thèmes forts (séries Ghetto, Croix-Des-Bossales, les Oubliés et les Martyrs). Killy utilise des couleurs et des formes saillantes évocatrices de monstruosité et de bestialité. Le rouge sang pour les portraits dans la série Ghetto. Le rose vif de la chair torturée pour la série des Martyrs, comme ce tableau en hommage à Charlemagne Péralte (militant haïtien nationaliste, exécuté sous l’Occupation américaine en 1919.), le jaune acide et le noir pour la série Les Oubliés .
Dominé principalement par le chaos et le deuil, une installation de Killy en métal recyclé intitulé Le dernier sacrement tente de nous donner des éléments de réponse à la réalité de la mort. Prosternation et rigidité des corps nous introduisent aux rituels funéraires traditionnels.
Artiste bien ancré dans son histoire et dans sa mémoire, Killy est la conscience émotionnelle d’une condition contre laquelle il exprime son désaccord et dont l’œuvre cristallise toute la tension et tout le tragique.
L’Exposition Impermanence a eu lieu du 12 août au 10 septembre 2010 aux Ateliers Jérôme.
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KILLY, Entre ciel et terre, Exposition au Karibe Convention Center
« Ces dix dernières années, la réalité de l’homme solitaire, tragique, douloureux, n’a pas quitté mon imaginaire. J’ai laissé libre cours à mon intuition, sans rien préméditer ». Killy, (Conversation avec Mireille Perodin Jerome en été 2005)
Du 22 au 23 septembre 2010, Les Ateliers Jérôme ont présenté KILLY, Entre ciel et terre , Monotypes sur papier au Symposium International Haïti 2010 organisé par le Secrétairerie d’État à l’intégration des Personnes Handicapées (SEIPH). Une exploration du monde de la violence et des phénomènes de ghettoïsation, où l’artiste aborde les rapports complexes qu’il entretient avec la réalité contemporaine. Cette exploration prend appui cette fois encore sur une démarche appropriative. Appropriation de l’Histoire, appropriation de la mémoire collective, des savoir-faire traditionnels et expressions de la mémoire personnelle. Les portraits sur planche de carton réalisés à partir de paillettes et sequins dont la brillance met en évidence des êtres étampés aux traits marqués par les difficiles conditions d’exister.
L’exposition Entre Ciel et Terre est une contribution de l’artiste à la problématique du Handicap en Haïti, à la lutte pour l’inclusion. L’art est ici proposé comme alternative aux limitations physiques.
Cette exposition a obtenu le support de la Secrétairie d’État à l’intégration des personnes handicapées (SEIPH)
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Commémoration du 12 janvier 2010 : exposition Imaginaires Croisés
Art du Recyclage et transgression en Haïti : la communauté Atis Rezistans aux Ateliers Jérôme
De puissant assemblages montés par des récupérateurs de moteurs, téléviseurs, enjoliveurs de roues et bois mis au rebus ont transformé les déchets d’une économie défaillante en sculptures audacieuses. (Leah Gordon, www.atisrezistans.com), traduction libre.
Le mouvement Atis Rezistans est né à l’extrémité sud de la principale artère de Port-au-Prince, communément appelée Grand Rue et officiellement dénommée Boulevard Jean-Jacques Dessalines. Le quartier qui a vu naître ce mouvement est depuis longtemps utilisé comme décharge automobile, lieu de casse, envahi par la poussière et le bruit. L’extension de ce cimetière automobile a, au cours des ans, repoussé dans ses limites une agglomération composite d’artisans du bois, survivants du crash touristique des années 80, de garagistes, réparateurs de carrosserie, ou simples réchauliers, récupérateurs des carcasses. Les plasticiens, les derniers à naitre dans ce capharnaüm, ont résolu de ne plus vivre dans un vil dépotoir. André Eugène et Jean Hérard Celeur qui ont grandi dans ces lieux ont entrepris de le transformer. Ils sont rejoints dans cette tâche par Ronald Bazile dit Cheby et Frantz Jacques dit Guyodo, leurs premiers disciples.
En règle générale, l’éclosion de ces communautés est due au sens de l’expérimentation, à l’art de l’invention et du détournement d’un devancier, artiste ou artisan, travaillant consciencieusement à une réinterprétation du monde. Leur enjeux, transfigurer intentionnellement la laideur ambiante en piégeant la vie là où elle se présente. Faire appel á la dérision, l’humour, la transgression pour créer un monde fictionnel qui interroge leur rapport au réel et dénonce la ghettoïsation de leur environnement. Faire tomber l’arrogance qui sépare traditionnellement culture élitaire et culture populaire. Engendrer une culture de résistance d’expression originale qui récupère la tradition pour s’inscrire dans la modernité.
Au contact des cultures d’origine, la pratique de récupération des déchets, extension d’un héritage historique, s’est consolidée en prenant appui sur la tradition anonyme des artefacts du vodou. Par décision artistique, les divinités sont réinventées à la Grand Rue. Déchets électroniques et automobiles entrent dans la nouvelle configuration iconographique. Divers modes opératoires sont á l’œuvre : taille directe du bois duquel sont tirées les formes les plus expressives que la statuaire haïtienne ait produites ; montage à la fois libre et minutieux des éléments retirés des poubelles de la ville. Recomposant les signes du temps à l’aide de pigments récupérés auprès des fabricants de carreaux, les artistes obtiennent la cohérence plastique des pièces. Les pigments bleu et vert pour Celeur, blanc et vert pour Eugène, rouge, jaune et bleu pour Chéby uniformisent et renforcent la facture brute du travail de base. La poussière et le cambouis sont les derniers mediums à intervenir dans la finition.
Le choix des Atis Rezistans pour commémorer la douloureuse journée du 12 janvier n’est pas un hasard, la Grand Rue est l’un des quartiers de la région métropolitaine les plus touchés par le séisme et les sculpteurs ont été les premiers à témoigner avec une force inouïe du désastre vécu.
Il n’est plus aujourd’hui question d’un montage plus ou moins réussi d’objets recyclés sur un tronc sculpté. Ces sculptures sont le résultat d’une pratique maitrisée usant de moyens sûrs pour un langage cohérent. L’ouverture sur le monde artistique international par de nombreuses expositions et voyages les a dotés de culture artistique les rendant aptes à faire aboutir leurs projets plastiques les plus audacieux.
Les Atis Rezistans, comme les peintres naïfs des années quarante, semblent tracer implicitement la voie à un nouveau paradigme : une communauté vivant dans le dénuement qui parvient à créer une nouvelle dynamique sociale en développant un autre rapport au monde. Soudés à leur communauté, ces plasticiens rêvent de pouvoir restituer. En attendant, des ateliers de jeunes, filles et garçons, regroupés sous les noms de Ti Moun Rezistans et Ti Moun Kléré sont initiés aux techniques de travail. Les figures découpées dans la chambre à air exposées aux Ateliers Jérôme de Toussaint Mathieu Sanders dit San Doudou (16 ans) illustrent brillamment le travail de ces jeunes pleins de talent et d’imagination.
Ralph Georges dit Rico (45 ans) partage ce support avec San Doudou pour, dit-il, faire de l’art vodou. Il en tire une expression très personnelle de formes ajourées et élégantes (Damballah, La Sirène, Baron Samedi…).
Evelt Romain, ébéniste de métier, a commencé la sculpture artisanale sur bois depuis 1984. Avec Celeur, il produit à l’époque, une série de poteaux mitan (pilier central du péristyle vodou) en bas-relief. Les pièces d’après le séisme en bois, corde et chambre à air, sont d’une grande poésie.
Les sculptures des Atis Rezistans cohabitent pour l’exposition Imaginaires croisés avec les peintures, gravures et pastels de Marie-Hélène Cauvin, de Pierre-Pascal Merisier dit Pasko et de Patrick Ganthier dit Killy. Ce voisinage rend compte d’une particularité de la plastique contemporaine haïtienne : croisement des imaginaires et langage commun ; esthétique expressionniste de dérision et de transgression ; quête dénonçant exclusion et marginalisation. Ces « cœurs brulants » comme Eros et Thanatos, réunissent force de vie et force de mort dans une même cosmogonie.
( Extrait de Art du recyclage et transgression en Haiti, de Mireille Pérodin Jérôme, Ayiti/Haiti, Volume 25, 2011, The Caribbean Writer)
L’Exposition Imaginaires croisés s’est déroulée du 11 janvier au 12 février 2011 aux Ateliers Jérôme
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Guyodo et Sébastien Jean: leur Transe-Figuration aux Ateliers Jérôme.
Sont exposées aux Ateliers Jérôme, depuis le 16 décembre 2011, les sculptures de Frantz Jacques dit Guyodo, et les toiles de Sébastien Jean, et ce, jusqu’au 16 janvier 2012. Une exposition qui nous invite, de manière assez discrète, à prendre le pouls de l’imaginaire haïtien aux prises avec le chaos. L’aventure est intéressante ! Plus d’une dizaine de toiles et (6) six sculptures pour tenter de jouir esthétiquement des affres du séisme de janvier 2010.
Pinceaux, crayons, ciseaux et marteau en mains, Guyodo et Jean Sébastien n’ont qu’une cible : notre corps. Un corps qu’ils se figurent dans la transe d’un après-midi fatidique. Transe-Figuration, tel est d’ailleurs le titre de l’exposition.
Dans les œuvres du peintre Sébastien Jean, deux couleurs prédominent, le noir et le brun, surlignées et soulignées de traits jaunes, blancs, et bleus entrelacés jusqu’à tisser des formes intelligemment hallucinantes. Par exemple, un sourire emporté par des larmes et noyé dans une grimace. C’est à voir dans un tableau non titré et dont le numéro d’immatriculation m’échappe. Chaque ligne s’étire comme une longue fissure d’où surgit un cri. Sans conteste, le pays, depuis le 12 janvier, habite un bruit !
L’œuvre de Guyodo branle radicalement le regardeur. Avec des objets de la vie courante destinés éventuellement à la poubelle, le sculpteur modèle le corps tel qu’il a été mâché par les dents du béton.
Des objets ordinaires : cuir, métal, crâne, plastique recyclés s’assemblent suivant une logique difficilement descriptible pour créer une résonnance poétique. Selon la combinaison, l’objet réel échappe à sa propre réalité pour prendre d’assaut l’art dans sa magie et exprimer l’horreur des (35) secondes pendant lesquelles la terre d’Haïti a brouillé ses propres fils et filles. Nos routes et chemins brassés, on allait sans repères, ce soir là. Les artistes se le rappellent. Dans une des pièces de Guyodo, elle est identifiée au numéro 007, toute une famille, entassée dans une chaise roulante, s’enfuit. Où va-t-elle? Difficile de le savoir. Les deux seuls indicateurs disponibles, les pieds de l’homme et son pénis en érection, sont équivoques. Ses pas semblent se diriger vers la gauche, mais son pénis indique clairement qu’il veut aller droit devant lui. En vous faisant ce récit, je pense au poète critique Gary Augustin qui, à la vue de cette sculpture, a déclaré : « Je préfère le C’est quoi ça? » au « Ô c’est joli ! » pour mettre en exergue l’intérêt infini suscité chez nous par les œuvres de l’artiste.
L’Exposition Transe-Figuration est à découvrir. Les œuvres de Guyodo et celles de Sébastien Jean sont à contempler. Mais, sur fond de questionnement, de crise et malaise.
Robenson D’Haïti
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Aux Ateliers Jérôme, l’art persiste
L’espace de la galerie « Les Ateliers Jérôme » héberge depuis près d’un mois les œuvres picturales et sculpturales des artistes Sébastien Jean et Guyodo.
Le premier fait le métier de peintre. Il se sert de couleur et de geste pour proposer son imaginaire. Alors qu’on croyait que les ressources étaient épuisées après la vague des années 40-50 avec les artistes dits primitifs ou naïfs, après l’irruption éclatante des peintres de «Saint Soleil » au cours des années 70, la peinture haïtienne n’a pas fini d’étonner. En témoigne le travail combien remarquable de Sébastien Jean, à peine initié.
Caractérisées par une facture fougueuse et des couleurs sourdes, rarement vives, contrairement à la tradition naïve, près d’une vingtaine de toiles à forte charge affective communiquent des émotions qui vont de la surprise à la terreur. Un univers qui trouverait son équivalent littéraire dans « les chants de Maldoror » du comte de Lautréamont. Comme s’il s’agissait pour l’artiste de participer à une offensive contre l’art contemplatif. Serait-ce une réaction émotive aux horreurs du violent séisme qu’a connu le pays ?
Ces toiles ne recourent pas, à proprement parler, aux images et pas du tout aux motifs. Le pinceau de Jean préfère faire surgir des monstres informes qui sommeillent au plus profond de nos imaginaires.
On pense à un art informel devant son quadriptyque à dominante jaune, à l’art brut par moments et pourquoi pas l’expressionnisme abstrait. Rien de tout cela en fait, l’art de Sébastien Jean est vrai. C’est tout !
La sculpture de récupération tente difficilement de se renouveler, se débat pour ne pas stagner dans le déjà vu. Guyodo choisit aujourd’hui d’intervenir sur les matériaux glanés plutôt que de les présenter de manière brute. Pour cela, il enjolive quelque peu au moyen d’une patine chromée. Ses œuvres sont imposantes quant à la taille et à l’équilibre des masses. Elles dégagent une sensation de monumental malgré le coté exiguë de l’espace. Nous reconnaissons ici le talent du responsable de la mise en espace des œuvres.
Gary Augustin
publié à une émission sur la Radio Nationale, janvier 2012
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Dans ce pays où l’on écrit beaucoup et si mal
Le dramaturge Syto Cavé vient de publier, enfin un recueil de poésie.
Qui d’un soir tel en est le titre, regroupe des poèmes de différentes périodes et de registres variés. C’est connu, un poète qui ne publie pas dans des délais courts risque de ne pas se faire connaître assez. Comme quoi l’effet cumulatif, garantit la notoriété. Cependant certains poètes font un tout autre choix, peu pressés de publier, ils écrivent dans une sorte de retrait.
Pour eux, le poème est souvent une affaire de mise en cave. Plus ça vieillit, plus ça murit. Syto Cavé est de ceux-là et c’est ce qui fait sans doute la variété à la fois dans le ton et dans les thèmes. Son poème Qui d’un soir affiche une rare maitrise de l’écriture poétique qui va du poème en prose au vers libre.
On est loin ici des modèles sempiternels hérités de Paul Eluard ou de Louis Aragon.
Et c’est tant mieux s’il nous arrive de humer du Michaux au détour d’un poème entre l’humour et le sarcasme.
A l’écart de tout tapage médiatique, loin du prêt-à lire bon à jeter, c’est donc un livre d’une grande exigence que vient de nous livrer Syto Cavé. Qui d’un soir, à lire absolument « dans ce pays où l’on écrit beaucoup et si mal ».
Gary Augustin
Le Nouvelliste, 24 janvier 2012
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Rêve et réalité: état de l’Art haïtien
Qu’est-ce que l’art haïtien? Telle était la question soulevée lors de la conférence Haïti 2012: Pays Rêvé, Pays Réel. Plutôt que de s’attarder sur le bilan de la République après le tremblement de terre survenu en 2012, la conférence visait plutôt à sensibiliser le public à la culture artistique florissante qui a façonné l’histoire d’Haïti.
L’art haïtien, en dépit de la perte de nombreuses pièces historiques, est bien vivant. La conférence de quatre jours présentée par des artistes, auteurs et cinéastes a entrepris un dialogue international bilingue à Milwaukee. Le choix de cette ville pour accueillir l’événement s’explique en grande partie par la Collection d’art haïtien du Musée d’Art de Milwaukee don de Richard et Erma Flagg, une des plus grandes collections de peintures haïtiennes, sculptures et objets d’art au monde. Un groupe bien équilibré d’universitaires, de linguistes, et de collectionneurs d’art, s’était réuni autour de cette collection.
Haïti 2012 : Pays Rêvé, Pays Réel a débuté par un dîner du présentateur et par l’ouverture de l’exposition « Haïti and the midwestern imagination » au « Lynden Sculpture Garden ». Orville Bulman, artiste originaire de Michigan a peint ces œuvres, après avoir été fasciné par les cartes postales de voyage provenant d’Haïti. Ces tableaux font partie de la collection de la famille Bradley. L’artiste a visité Haïti, objet de son imaginaire, juste une fois, et ce pendant 12 jours. Après ce voyage, il avait assez vu et n’est plus retourné en Haïti.
L’événement était chaleureux, et l’exposition (affichée à Lynden jusqu’au 13 mai) a servi d’introduction à la conférence. J’ai eu alors mes premiers contacts avec les Haïtiens, un groupe marchant avec les bras enlacés pour se protéger du froid. Au cours des quatre prochains jours, j’ai accompagné Louis-Philippe Dalembert, Edouard Duval-Carrié, Yanick Lahens, Mireille Pérodin-Jerome, Lyonel Trouillot, et Arnold Antonin lors de leurs débats (parfois soutenus) sur le sens et l’orientation future de l’art haïtien.
Polly Morris, directeur exécutif de Lynden, a présenté un aperçu de la collection de sculptures du Jardin. Polly Morris, David Uihlein et Marie-Anne Toledano (Attachée Culturelle au Consulat général de France à Chicago) ont présenté les œuvres d’Orville Bulman ainsi que les objectifs de la conférence. Nous sommes restés tard la nuit entre amis, anciens et nouveaux pour d’intenses échanges en français et en anglais.
La conférence a repris à l’Université Marquette avec la projection d’un film du réalisateur haïtien primé : Arnold Antonin. Auparavant, des courts métrages de l’association Action pour le changement… ont offert un forum de discussions sur d’autres sujets culturels tels que les bibliothèques, la retraite des écrivains, et l’École de musique Sainte Trinité de Port-au-Prince. Puis, la grande première du documentaire d’Arnold Antonin à Milwaukee « Les Amours d’un zombi (Les Amours d’un zombi, Candidat aux élections présidentielles) » a donné aux téléspectateurs un avant-goût du style d’Antonin. Ce dernier est parvenu à communiquer au public sa passion pour le thème tout en s’affirmant tel un artiste voulant seulement partager son histoire avec un public disposé à l’entendre et à intervenir.
Le jeudi 8 mars, nous avons bénéficié de visites guidées de la collection Flagg d’art haïtien du Musée d’Art de Milwaukee (MAM), par l’artiste haïtien vivant à Miami : Edouard Duval-Carrié et l’éducatrice et conservatrice aux Ateliers Jérôme: Mireille Pérodin-Jérôme. L’exposition logeait le travail d’artistes haïtiens historiquement importants comme Hector Hyppolite et Philomé Obin, juxtaposant ainsi l’histoire de la révolution haïtienne, les crises politiques et les croyances religieuses catholique et vaudou qui tempèrent tout le reste. Parmi les spectateurs, on comptait des ambassadeurs et des dignitaires de la France et d’Haïti; Duval-Carrié et Pérodin-Jérôme ont parlé avec connaissance et respect des pièces, partageant des commentaires personnels et le contexte historique de cette production. La révolution haïtienne, la famille, le travail, les activités festives et religieuses sont des thèmes profondément ancrés dans la collection dont les artistes ont su tirer le meilleur parti. Brady Roberts, conservateur en chef du MAM, a déclaré que les visites guidées, en français et en anglais, ont été les discussions les plus approfondies jamais données sur la Collection Flagg.
Le dernier jour de la conférence a porté sur la littérature haïtienne actuelle, avec les écrivains Louis-Philippe Dalembert, Lyonel Trouilot, et Yanick Lahens. L’événement a eu lieu à l’UW-Milwaukee, avec des traductions en temps réel de Sarah Dupee et Sarah Puchner. Animée par Gabrielle Verdier et le Dr Sarah Davies Cordova, la conférence est devenue beaucoup plus un dialogue entre les Haïtiens que toute autre chose. Le public écoutait les orateurs tandis que ces derniers orientaient la conversation vers un espace d’auto-détermination actif pour les artistes, écrivains et cinéastes à un moment crucial de l’histoire tumultueuse d’Haïti.
Dans l’ensemble, Haïti Pays Rêvé, Pays Réel a produit un forum invitant la communauté internationale à voir au-delà des décombres, de la pauvreté et de la corruption, et ainsi à aller droit au cœur mélancolique d’Haïti, à travers un groupe diversifié de créateurs zélés exprimant leur souci et leur amour du pays. Alors que le monde croit que l’art haïtien a cessé de progresser depuis les années 1950, chaque jour des hommes et des femmes d’Haïti et de la diaspora continuent à créer à partir du principe de leur identité haïtienne. “C’est plus que de la littérature de l’intérieur ou de l’extérieur», déclara l’écrivain Trouillot. “Le temps nous dira ce qu’est l’Art Haïtien.”
Haïti, Pays Rêvé, Pays Réel a reçu le support de UW-Milwaukee, du Musée d’art de Milwaukee, de l’Université Marquette, de Lynden Sculpture Garden, de David Barnett Gallery, de Milwaukee Peace Corps Association, de l’Alliance Française de Milwaukee et de Chicago, ainsi que les services culturels du Consulat Général de France (basé à Chicago et à New York) et de l’Institut français de Paris.
Pour plus d’informations sur l’événement, ou pour en savoir plus sur l’art haïtien exposé actuellement à Milwaukee,